Chaque début d’année est l’occasion pour un grand nombre de personnes de fixer un nouveau départ, de prendre « De bonnes résolutions… ». Arrêter de fumer, maigrir, se mettre au sport, au chant, trouver l’amour[1]… la liste de ces vœux pieux est souvent infinie, et la bonne volonté qui la porte ne tient qu’à un fil. Ce même fil qui fit basculer quelques heures auparavant le compteur du calendrier, le fil du temps qui passe. Minuit tonna. Soutenu par un espoir nourri au cours de la soirée par des verres enchaînés, cousues les uns aux autres par un flot ininterrompu de paroles, les décisions impossibles deviennent accessibles. Tout ce qui était impensable il y a encore quelques jours devient mission possible.
Nous le savons tous, pour l’avoir vécu personnellement ou constaté autour de nous, l’écho du final symphonique d’une veillée festive finit toujours par s’estomper dans le chant du quotidien qui ne manquera pas de rappeler en chœur l’emprise de la banalité retrouvée. Le stress, nos inquiétudes, le rythme de nos vies, remplissent à nouveau le puits de nos angoisses et rappellent, sirènes hurlantes, chacune des habitudes à abandonner, éloignant celles à adopter.
S’il est besoin de le prouver, une étude universitaire a démontré que plus de 85 % des personnes ayant pris des résolutions de Nouvel An, et ayant fait l’objet d’un suivi, ont fini par délaisser le ou les objectifs fixés.
En m’interrogeant sur le sujet m’est venu l’envie de retourner au sens de la démarche.
En prenant acte d’adopter des résolutions, nous cherchons d’une certaine façon à résoudre quelque chose [resolutio en latin]. Soit à dissoudre une mauvaise habitude, à la décomposer, la désagréger, s’en dissocier, s’en disjoindre, à nous détacher d’une source de tension. Soit à renouer avec soi, avoir de nouveaux desseins, de nouvelles visées… En d’autres termes, toute personne entrant dans un ensemble de résolutions cherche à redéfinir une adéquation entre ce qui résonne au plus profond d’elle-même et ce qui surgit du monde dans lequel elle est amenée chaque jour à se mouvoir. De ce dernier naît d’infinies possibilités, tant pour nourrir cette liaison que pour l’assécher. Cette interaction individu/monde ne cesse jamais. Nous le savons aujourd’hui, elle commence intra-utérine, dès les premiers instants de notre conception, puisant en parallèle dans le passé transgénérationnel et culturel de nos parents, certains diront l’inconscient collectif universel qui varie selon les croyances de chacun à travers le temps, l’histoire et l’espace[2]. Il n’est donc pas surprenant que, pris dans une immixtion constante, jaillissent des dissonances à résoudre.
Si l’acte volontaire, porté par un individu — résolu à réussir — ne semble pas être gage de succès, nous n’avons d’autres choix que d’interroger de nouvelles directions. La boussole qui nous oriente indique quatre points cardinaux, les gradients la composant sont innombrables et offrent une myriade de chemins à suivre. En voici un d’entre eux.
En relisant quelques textes extraits des Védas m’est venue une interprétation libre, métaphorique de ce qui relie l’humain à la vie.
Ce qui anime un individu — certains l’appelleront âme, d’autres le soi — pourrait s’apparenter à l’épicentre d’une forme courbe fermée, dont la circonférence est en constante évolution, non limitée dans l’espace, ni dans le temps. Son contour, en aucun cas obligé de respecter la courbure parfaite d’un cercle, parfois embrassant celle d’une ellipse, au mieux affranchi de toute contrainte géométrique, gagne à acquérir la flexibilité d’un fil qui se détend[3] par le biais d’un mouvement permanent. Libéré de toutes tensions — une des définitions du mot résolution —, tout en conservant sa forme fermée maintenant une unicité, l’épicentre explore, au gré de ses pérégrinations, toute l’étendue du monde disponible à un instant donné, du périhélie à l’aphélie.
Mais, si le mouvement est essentiel, il est important de ne pas le confondre avec l’agitation. La forme peut s’agiter sans jamais se déplacer, et de facto sans étendre son champ. Elle n’offre alors dans le temps qu’un espace aride, asséché de toutes possibilités, d’où rien ne peut jaillir. A contrario, la souplesse d’une forme évolutive ouvre sans cesse sur de nouveaux territoires fertiles.
Il nous arrive souvent, pris dans le flot constant de nos vies modernes et de l’agitation qui en découle, de nous enfermer dans nos habitudes, dans des comportements parfois jugés toxiques ou simplement disharmonieux. Le cercle figé formé par notre quotidien, exploité à l’infini à un rythme qui ne cesse de s’accélérer, n’offre plus qu’une terre vidée de toutes ressources dont rien ne peut surgir. Pour répondre à cette situation, la mise au repos de nos vies, le fait de les ralentir, l’observation non objectivée, redistribue leur périmètre.
En m’appuyant toujours sur une symbolique géométrique, sans perdre la liaison védique, me sont apparues encore d’autres perspectives.
Si le cercle, l’ellipse, la forme libre fermée souvent en mouvement, offre à l’épicentre de nouveaux territoires à cultiver, qu’en est-il d’une sphère, d’un ellipsoïde, ou de toutes formes animées en plusieurs dimensions[4] ? Le champ des possibilités s’ouvre à l’infini. Le présent devient une modalité du temps passé et futur — cette obstination de vivre l’instant présent dissolue au cœur de notre entendement lui-même fondu dans de nouvelles dimensions. Nous pouvons dès lors, comme le propose le philosophe Vivekananda dans ses nombreux discours, « Être dans le monde et non pas du monde ». Il ne nous reste plus qu’à abandonner toute résolution pour laisser apparaître une vision claire[5]. L’ombre portée de nos vies étalée sur une même étendue arrête d’agir comme un manteau neigeux. La surface de la forme est sans frontière. L’éclairage peut jaillir de partout.
Le mot résolution(s) peut alors se fractionner en deux blocs : Ré (dieu soleil chez les Égyptiens), et la lumière fut… Solution(s) : elles apparaissent, comme la vie qui surgit au cœur d’un monde — ensoleillé, éclairé — qui renaît. Parce que la vie existe, nous avons tout intérêt à la saisir dans toutes ses dimensions.
épilogue :
Si l’on observe
en perspective un cercle posé sur une surface plane… se dégage une ellipse. Un
rien peut modifier l’ensemble des dimensions disponibles.
[1] « Le groupe Meetic France recense ainsi que le premier dimanche de 2019, le nombre d’inscriptions sur l’application était deux fois plus élevé que la moyenne journalière, et qu’il y avait une augmentation de messages échangés de + 62 % par rapport à un jour classique ». Source : https://www.20minutes.fr/societe/2687179-20200105-love-sunday-pourquoi-premier-dimanche-janvier-affole-compteurs-applis-rencontre
[2] Pour n’en citer que deux : l’inconscient collectif et universel de Young jusqu’à la réincarnation considérée par le bouddhisme et l’hindouisme.
[3] Une des illustrations données par la physique moderne des cordes — élément central de la théorie des cordes — correspond assez bien à cette description. https://www.wmaker.net/einstein2a/INTRODUCTION-A-LA-THEORIE-DES-CORDES_a42.html
[4] Là encore, la théorie des cordes est une illustration éclairante pour visualiser l’ensemble. Les ouvrages et les vidéos de Brian Greene sont une excellente source introductive. À titre indicatif : L’Univers élégant (Robert Laffont, 1999).
[5] En sanskrit, rappelle Vivekananda, le mot « philosophie » s’apparente à une vision claire et non pas à une sagesse.