Ô Ré du bois… cette formule pourrait sonner comme le début d’une incantation égyptienne faite en une belle journée d’été en hommage au dieu soleil (Rê plus exactement). Dans le cas présent, il n’en est rien. Il est question d’un Ré qui s’exprime dans un tout autre registre : celui d’une résonance fugace de la note de musique qui porte son nom, Ré, dans un lieu singulier, au milieu d’un bois.
Au cours d’une promenade, perdu dans mes pensées noyées au milieu des arbres, j’entendis tinter un Ré. Étais-je influencé par Scriabine qui lui avait attribué la couleur jaune brillant — le soleil n’est pas loin — dans son Prométhée ? Association qu’il fit sur la base d’une table de correspondances qu’il imagina entre le spectre des hauteurs sonores et celui des couleurs. À l’exception de rares rayons du soleil balayant les cirrostratus par-delà l’épais manteau laineux, le temps automnal, gris brun, de cette journée laissait peu de doute à cette éventualité.
Mais cette note, possible ré-manente
de mon dépouillement involontaire, telles les branches délaissées sur l’humus
forestier une fois un arbre abattu, laissait jaillir une toute nouvelle
perspective dans le paysage sonore et visuel où je m’étais perdu.
Mais avant d’en arriver là, il me
fallait prendre racine.
Tout commença, quand, un matin à la campagne, pris d’un profond ennui, je m’abandonnai à l’idée d’une promenade dans un bois, par une journée à demi-pluvieuse, une journée comme je les affectionne peu. Poussé par un élan irrationnel, je quittai le poêle où je m’étais réfugié pour braver le vent et la pluie fine fixée en chapelet de gouttes sur les feuilles sèches suspendues aux branches ensommeillées des arbres.
Au bout de quelques minutes de marche, jaillit de nulle part une strophe qu’il m’arrive de prononcer à celui ou celle qui dépose devant moi la plainte de notre temps, celle de ne pas être à sa place dans la vie, celle de ne pas trouver sa place dans la vie. Et si vous preniez simplement racine ?Posez vos deux jambes sur le sol, laissez-les s’enfoncer et puiser dans la terre tel un arbre tout ce qu’il y a disposition. Laissez faire vos jambes et vos pieds, comme les racines d’un arbre savent ce qui est bon pour les feuilles et les fleurs à l’autre bout du tronc, ils sauront quoi faire pour vos pensées et errements.
Si la proposition m’a parfois fait passer pour un poète exubérant, ce jour-là, je décidai d’arpenter littéralement ma suggestion en m’enracinant, pieds immergés dans l’humus, au beau milieu du bois. Exaspéré ou épuisé par ma double initiative — celle de sortir et de rester planté là —, j’acceptais l’abandon de toute velléité à explorer une autre initiative, de toute évidence foireuse. Ce n’était pas le jour d’entreprendre quoi que ce soit. L’attente laissa place au temps dilaté, et mes pieds pouvaient dès lors s’enfoncer sans retenue, mes paupières trempées, non par la rosée poétique, mais par la pluie molle et pesante.
La note jaillit : Ré. Le vent
plus fort faisait chanter les arbres. Je pouvais puiser dans la résonance de ce
Ré, non pas dans le sol humide, mais dans les cimes feuillues, le chant de la
terre. Il ne me resta plus qu’à rejoindre l’ô-ré-e du bois, le reste était déjà
accompli, comme souvent, sans effort.
Chaque début d’année est l’occasion pour un grand nombre de personnes de fixer un nouveau départ, de prendre « De bonnes résolutions… ». Arrêter de fumer, maigrir, se mettre au sport, au chant, trouver l’amour[1]… la liste de ces vœux pieux est souvent infinie, et la bonne volonté qui la porte ne tient qu’à un fil. Ce même fil qui fit basculer quelques heures auparavant le compteur du calendrier, le fil du temps qui passe. Minuit tonna. Soutenu par un espoir nourri au cours de la soirée par des verres enchaînés, cousues les uns aux autres par un flot ininterrompu de paroles, les décisions impossibles deviennent accessibles. Tout ce qui était impensable il y a encore quelques jours devient mission possible.
Nous le savons tous, pour l’avoir
vécu personnellement ou constaté autour de nous, l’écho du final symphonique
d’une veillée festive finit toujours par s’estomper dans le chant du quotidien
qui ne manquera pas de rappeler en chœur l’emprise de la banalité retrouvée. Le
stress, nos inquiétudes, le rythme de nos vies, remplissent à nouveau le puits
de nos angoisses et rappellent, sirènes hurlantes, chacune des habitudes à
abandonner, éloignant celles à adopter.
S’il est besoin de le prouver, une
étude universitaire a démontré que plus de 85 % des personnes ayant pris
des résolutions de Nouvel An, et ayant fait l’objet d’un suivi, ont fini par délaisser
le ou les objectifs fixés.
En m’interrogeant sur le sujet m’est
venu l’envie de retourner au sens de la démarche.
En prenant acte d’adopter des
résolutions, nous cherchons d’une certaine façon à résoudre quelque chose [resolutio
en latin]. Soit à dissoudre une mauvaise habitude, à la décomposer, la
désagréger, s’en dissocier, s’en disjoindre, à nous détacher d’une source de
tension. Soit à renouer avec soi, avoir de nouveaux desseins, de nouvelles
visées… En d’autres termes, toute personne entrant dans un ensemble de
résolutions cherche à redéfinir une adéquation entre ce qui résonne au plus
profond d’elle-même et ce qui surgit du monde dans lequel elle est amenée
chaque jour à se mouvoir. De ce dernier naît d’infinies possibilités, tant pour
nourrir cette liaison que pour l’assécher. Cette interaction individu/monde ne
cesse jamais. Nous le savons aujourd’hui, elle commence intra-utérine, dès les
premiers instants de notre conception, puisant en parallèle dans le passé
transgénérationnel et culturel de nos parents, certains diront l’inconscient
collectif universel qui varie selon les croyances de chacun à travers le temps,
l’histoire et l’espace[2].
Il n’est donc pas surprenant que, pris dans une immixtion constante, jaillissent
des dissonances à résoudre.
Si l’acte volontaire, porté par un individu
— résolu à réussir — ne semble pas être gage de succès, nous n’avons d’autres
choix que d’interroger de nouvelles directions. La boussole qui nous oriente indique
quatre points cardinaux, les gradients la composant sont innombrables et offrent
une myriade de chemins à suivre. En voici un d’entre eux.
En relisant quelques textes extraits
des Védas m’est venue une interprétation libre, métaphorique de ce qui relie
l’humain à la vie.
Ce qui anime un individu — certains
l’appelleront âme, d’autres le soi — pourrait s’apparenter à l’épicentre d’une
forme courbe fermée, dont la circonférence est en constante évolution, non limitée
dans l’espace, ni dans le temps. Son contour, en aucun cas obligé de respecter
la courbure parfaite d’un cercle, parfois embrassant celle d’une ellipse, au
mieux affranchi de toute contrainte géométrique, gagne à acquérir la flexibilité
d’un fil qui se détend[3]
par le biais d’un mouvement permanent. Libéré de toutes tensions — une des
définitions du mot résolution —, tout en conservant sa forme fermée maintenant
une unicité, l’épicentre explore, au gré de ses pérégrinations, toute l’étendue
du monde disponible à un instant donné, du périhélie à l’aphélie.
Mais, si le mouvement est essentiel, il
est important de ne pas le confondre avec l’agitation. La forme peut s’agiter
sans jamais se déplacer, et de facto sans étendre son champ. Elle n’offre alors
dans le temps qu’un espace aride, asséché de toutes possibilités, d’où rien ne
peut jaillir. A contrario, la souplesse d’une forme évolutive ouvre sans cesse
sur de nouveaux territoires fertiles.
Il nous arrive souvent, pris dans le flot constant de nos vies modernes et de l’agitation qui en découle, de nous enfermer dans nos habitudes, dans des comportements parfois jugés toxiques ou simplement disharmonieux. Le cercle figé formé par notre quotidien, exploité à l’infini à un rythme qui ne cesse de s’accélérer, n’offre plus qu’une terre vidée de toutes ressources dont rien ne peut surgir. Pour répondre à cette situation, la mise au repos de nos vies, le fait de les ralentir, l’observation non objectivée, redistribue leur périmètre.
En m’appuyant toujours sur une
symbolique géométrique, sans perdre la liaison védique, me sont apparues encore
d’autres perspectives.
Si le cercle, l’ellipse, la forme
libre fermée souvent en mouvement, offre à l’épicentre de nouveaux territoires
à cultiver, qu’en est-il d’une sphère, d’un ellipsoïde, ou de toutes formes animées
en plusieurs dimensions[4] ?
Le champ des possibilités s’ouvre à l’infini. Le présent devient une modalité
du temps passé et futur — cette obstination de vivre l’instant présent dissolue
au cœur de notre entendement lui-même fondu dans de nouvelles dimensions. Nous
pouvons dès lors, comme le propose le philosophe Vivekananda dans ses nombreux
discours, « Être dans le monde et non pas du monde ». Il ne nous reste plus
qu’à abandonner toute résolution pour laisser apparaître une vision claire[5].
L’ombre portée de nos vies étalée sur une même étendue arrête d’agir comme un
manteau neigeux. La surface de la forme est sans frontière. L’éclairage peut
jaillir de partout.
Le mot résolution(s) peut alors se
fractionner en deux blocs : Ré (dieu soleil chez les Égyptiens), et la lumière fut… Solution(s) :
elles apparaissent, comme la vie qui surgit au cœur d’un monde — ensoleillé,
éclairé — qui renaît. Parce que la vie existe, nous avons tout intérêt à la
saisir dans toutes ses dimensions.
épilogue :
Si l’on observe
en perspective un cercle posé sur une surface plane… se dégage une ellipse. Un
rien peut modifier l’ensemble des dimensions disponibles.
[4] Là
encore, la théorie des cordes est une illustration éclairante pour visualiser
l’ensemble. Les ouvrages et les vidéos de Brian Greene sont une excellente
source introductive. À titre indicatif : L’Univers élégant (Robert
Laffont, 1999).
[5] En
sanskrit, rappelle Vivekananda, le mot « philosophie » s’apparente à
une vision claire et non pas à une sagesse.
« Comment le regard de François Roustang éclaire notre existence ? »
Fabrice Midal, philosophe et fondateur de l’école occidentale de méditation, organise le 6 novembre prochain une rencontre pour mieux faire connaître l’œuvre François Roustang. J’aurai le plaisir à être aux côtés de Jean-Marc Benhaiem, Philippe Aïm, Nicole Prieur et bien sûr Fabrice Midal, pour évoquer la mémoire de cet homme au parcours hors du commun, qui a marqué l’histoire de l’hypnose et auquel j’ai consacré mon dernier ouvrage « Qu’est-ce que l’hypnose de François Roustang ? ». J’évoquerai tout au long de mon intervention notre rencontre, et cette question – Qu’est-ce que l’hypnose ? – qui ne nous a jamais quittés. Information et inscription : https://www.fabricemidal.com/hommage-a-francois-roustang/
À l’occasion de la parution de mon prochain ouvrage Qu’est-ce que l’hypnose de François Roustang ? les Éditions Flammarion | Versilio, avec Stillpoint Spaces Paris, vous invitent à venir assister à la conférence-débat que j’animerai.
Qu’est-ce que l’hypnose ? Sur quoi s’appuie ce phénomène ? Par quel
processus explore-t-on cet état ? Est-elle propre aux êtres humains ? Quel est
le rôle de celui qui la propose ? Pourquoi et comment apporte-t-elle du confort
dans des vies souvent inconfortables ?
Au cours de cette soirée, je vous ferai également part de ma rencontre avec
le philosophe et hypnothérapeute François Roustang avec lequel j’ai mené les
entretiens à l’origine de ce texte.
Conférence : Vendredi 20 septembre à 19h. Stillpoint Paris — 6 rue de la Saône 75014 • M Alésia.
J’ai fait la rencontre du philosophe et hypnothérapeute François Roustang deux ans et demi environ avant sa mort. Elle fut une de celles qui bouleversent une existence. L’élégance, la présence, l’attention qu’il accordait à ses interlocuteurs offraient naturellement, sans faux-semblants, une relation unique, juste et sincère. Sa culture universelle, nourrie d’un parcours de vie aux multiples facettes et alimentée d’une curiosité dévorante, sans a priori, ouvrait le champ à des échanges intellectuels d’une qualité rare.
J’ai eu la chance et le privilège, pendant la dernière période de sa vie, de partager, chaque semaine ou presque, des moments d’une richesse inouïe et nourris d’une profonde amitié.
De cette relation qui nous liait sont nés quelques projets, dont celui de revenir sur la question posée, il y a vingt-cinq ans, par son livre Qu’est-ce que l’hypnose ? publié aux Éditions de Minuit (1994).
Nous ne sommes pas venus à interroger cette question, à tourner autour, à nous laisser fasciner par elle, par hasard. Si, pour François, y revenir à la fin de sa vie, peut relever d’une évidence, il m’aida à découvrir que, formulé autrement, je n’avais jamais cessé d’expérimenter l’hypnose et de sonder ce qu’elle a à offrir.
Nos échanges ont donné, tout au long de ce texte que je vous présente ici, un prolongement à son œuvre riche et dense, à une réflexion que nous avons poursuivie ensemble sur cette question qui ne l’a jamais quitté, et qui me poursuit encore : Qu’est-ce que l’hypnose ?
Ève-Alice Roustang, sa fille, m’a fait l’honneur et la gentillesse d’en écrire la préface.
Je suis heureux aujourd’hui de partager ce livre avec vous.
Addendum : Avec la bienveillance des Éditions de Minuit et en particulier d’Irène Lindon, Les Editions Versilio que j’ai cofondé publient, en eBook, la traduction anglaise dirigée par Ève-Alice Roustang de Qu’est-ce que l’hypnose ? par François Roustang (1994).
François
tenait beaucoup à ce que, de tous ses ouvrages, Qu’est-ce que l’hypnose ?
soit publié en anglais. Je suis heureux
d’avoir écrit une introduction à cette édition, d’avoir permis au souhait d’un
ami d’être devenu réalité et de rendre accessible au plus grand nombre ce livre
majeur.